C eux qui parlent de la guerre «mondiale» qui
succéda à première du nom disent «seconde guerre mondiale» ou «deuxième guerre mondiale»;
la nuance est subtile mais induit que dans le premier cas on considère que la liste est
close, dans le… second, qu'elle est ouverte. J'avais déjà constaté le fait, mais
il devint pour moi matière à plus grande réflexion quand, revisitant dans l'encyclopédie
en ligne Wikipedia une page à laquelle j'avais beaucoup contribué, je constatai
que toutes mes mentions de «deuxième» avaient été remplacées par «seconde». Cela fut fait
par un «bot», un petit programme pour modifications automatiques des pages Wikipedia. Je
transmis mon étonnement au créateur de ce «bot», lui faisant donc remarquer que ce genre
de «correction» n'a rien d'évident, et les deux peuvent se dire – du fait des positions
divergentes évoquées sur la finitude ou non de la série. Bien sûr, ça va au-delà: selon
certains, dont moi, la «troisième» a déjà eu lieu, et selon d'autres encore la «première»
n'était pas vraiment la première, mais déjà la deuxième ou la troisième.
Outre cette question de la série actuelle il y a aussi celle de la réalité de ladite
série: je considère notamment et je ne suis pas le seul, loin s'en faut, que la «première
guerre mondiale» ne mérite pas vraiment ce nom, en ce sens qu'elle fut pour l'essentiel
une guerre européenne et concerna indirectement le reste du monde, et pour certaines de
ses parties, ne les concerna pas. Certes, une part non négligeable des nations du temps
prit part au conflit, dont beaucoup en y en voyant des troupes, et en outre le fait que
bien des parties du monde étaient à l'époque des colonies ou des territoires administrés
des six principales parties au conflit (d'un point de vue territorial), l'Allemagne, la
France, le Royaume-Uni, la Russie, l'Empire ottoman et les États-Unis.
Seconde ou deuxième, donc. De mon point de vue, et ne tenant pas compte du caractère
mondial ou non de la première, la deuxième guerre mondiale n'appartient pas à une liste
close – sinon je la nommerais «seconde». Comme dit, je crois, et j'ai des arguments pour
ça, que la troisième a déjà eu lieu, et pense même que la quatrième a commencé, commence
ou est sur le point de commencer. Pour ce dernier point c'est discutable mais pour celui
concernant «la troisième» ça l'est beaucoup moins. «La troisième», c'est à la fois celle
que l'on nomma à injuste titre la «guerre froide» (car elle fut assez chaude, en fait) et
la longue série des guerres de décolonisation / libération. Les deux choses étant assez
liées, d'ailleurs, surtout pour la période 1955-1975. Cette guerre, sans être froide, fut
comme l'on dit «de basse intensité», considérant l'ampleur du champ de bataille, bien que
localement l'intensité fut souvent assez haute: considérant ces «théâtres d'opération» en
soi, l'engagement militaire, la violence du conflit, le nombre élevé de victimes (morts,
blessés et déplacés) en Corée au début des années 1950, en Algérie de 1954 à 1962, au
Vietnam de 1965 à 1975, entre autres cas, ce n'était pas «de basse intensité»; si l'on
replace cela dans un contexte de «guerre mondiale», on n'eut pas dans cette période un
engagement massif et frontal sur une période relativement brève entre «puissances» de
l'ordre de ceux vus durant les deux premiers conflits mondiaux.
Il y a un discours curieux de la part des politiciens de l'Union européenne ancienne
manière, celle des «quinze», selon lesquels l'Europe n'aurait pas connu de guerre pendant
environ cinquante ans, et aucun conflit majeur depuis 1945. Sur ce point, les derniers
États-membres, ceux de l'ancien «bloc de l'Est», ont une opinion assez différente…
Discours curieux quand on ne l'adjoint pas de la précision «sur son territoire», et sans
inclure dans «l'Europe» ses parties centrale et orientale. Certains même étendent cette
notion de «pas de guerre» à l'ensemble ddu groupe des «pays libres» de la guerre froide.
L'exacte chose est: depuis 1945, les pays d'Europe occidentale et d'Amérique du nord et
les grandes îles du Pacifique, ainsi que le Japon, n'ont pas connu de guerre sur leur
territoire métropolitain. Mais pour ne prendre que les cas de la France et des Pays-Bas,
ces deux États connurent la guerre sur leur territoire national mais outre-mer, dans
leurs colonies ou leurs départements lointains: en Algérie, en Indochine, au Maroc, en
Indonésie, au Surinam, etc. Et bien sûr, on ne compte pas le nombre de conflits où les
États-Unis se sont engagés, parfois avec un nombre impressionnant de soldats, parfois du
niveau de leur engagement en troupe lors de la première guerre mondiale.
Tel que je le comprends, la période 1949-1975 vit donc bien se dérouler une «troisième
guerre mondiale» qui, contrairement aux deux précédentes, ne donna pas lieu à un conflit
global, une guerre tactique de type classique, mais fut une guerre stratégique où les
deux principales parties au conflit, les États-Unis et l'Union soviétique, évitèrent une
confrontation directe, et se combattirent par l'entremise ou au travers de divers États.
Les trois raisons évidentes de la chose sont l'équilibre des forces, la dangerosité d'un
conflit direct et l'évolution de la situation internationale, liée notamment à ce conflit
dans le conflit que fut le mouvement des décolonisations.
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